Mgr, vous voilà installé sur le siège épiscopal de Fada depuis le samedi 12 mai dernier, comment vous sentez-vous à Fada et dans vos nouvelles fonctions ?
Bonjour et merci de me donner la parole et l’occasion de partager mes sentiments trois semaines après mon ordination épiscopale et mon intronisation. Je me sens bien dans l’Eglise –Famille de Dieu qui est au Gulmu. J’apprends chaque jour à être un peu plus celui que je dois être, le pasteur de l’église diocésaine de Fada N’Gourma à la suite et à l’école du Vrai et de l’unique Pasteur de son peuple, le Christ Jésus Lui-même.
A l’école du Christ, les expérimentés et les diplômés sont ceux qui restent permanemment avec le Maître ; la grâce que je demande à Dieu, c’est d’incarner chaque jour davantage le cœur de Dieu.
De Dimistenga votre village natal, au siège épiscopal de Fada, racontez-nous le parcours qui vous a amené jusque-là ?
Ça va être trop long. On ne peut pas tout dire. Mon papa Augustin était très proche du vieux catéchiste Gérard Yougbaré premier catéchiste de Dimistenga et de ses trois fils Pierre, Paul et Fernand. Pierre par la suite est parti en Côte d’Ivoire, Paul est devenu instituteur et Fernand prêtre, le premier du village de Dimistenga et de la Paroisse de Gounghin (de Koupéla bien sûr). Les enfants de vieux Gérard passaient par le papa pour apporter à leurs parents tous les soins. Quand j’avais l’âge de sept ans, l’instituteur, Paul Yougbaré, par reconnaissance pour les services rendus par papa, m’a pris avec lui pour m’inscrire à l’école.
Papa Paul étant à ce moment à Duurtenga c’est là que j’ai commencé l’école. Et depuis je ne suis reparti à Dimistenga que pour des congés et des vacances. J’ai été Cœur-vaillant et enfant de chœur à Koupéla quand papa Paul y a été affecté. La proximité avec Monseigneur Yougbaré Dieudonné (j’ai été son servant de messe avec d’autres enfants), le contact quasi permanent avec les prêtres, les religieux et les religieuses ont fait naître en moi le désir de devenir prêtre.
Mon cheminement a été ordinaire par la suite, Petit séminaire de Baskouré, Inter-séminaire de Kosoogê ; renvoi de toute notre promotion à la fin de notre première. Je fais partie des premiers grands séminaristes du Grand Séminaire Saint Jean-Baptiste de Wayalgê. Avec beaucoup de tendresse Dieu a conduit mes pas jusqu’au sacerdoce ; depuis lors il n’a cessé de me surprendre : vicaire à la paroisse de Koupéla, études à Abidjan et à Paris, formateur au grand séminaire de Koumi, curé de ma paroisse d’origine, Gounghin, Recteur du Grand Séminaire Saint Jean-Baptiste de Wayalgê et finalement père de l’Eglise-Famille de Dieu qui est au Gulmu. En relisant mon cheminement, je suis dans l’émerveillement, notre Dieu est merveilleux.
Où avez-vous appris votre nomination comme évêque au Gulmu depuis la France racontez-nous les circonstances de cette nomination ?
Après 7 années passées au grand séminaire saint Jean-Baptiste de Wayalgê, mon évêque m’avait accordé une année sabbatique (d’octobre 2012 à octobre 2013). L’archevêque de Toulouse Monseigneur Robert le GALL m’avait donc nommé à la paroisse d’Aurignac à 70 km de TOULOUSE. C’est 3 mois et 2 semaines après mon arrivée à Aurignac que Son Excellence Monseigneur Vito RALLO Nonce Apostolique m’a appelé vers 21h le 31 janvier 2012 pour m’annoncer la nouvelle. C’était une très grande surprise pour moi. Je suis resté silencieux pendant longtemps si bien que le Nonce se demandait si j’étais toujours là au bout du fil… J’ai passé une nuit blanche en dialogue avec Dieu pour comprendre pourquoi il avait fait ça. Tous mes projets personnels tombaient, il fallait déjà envisager le retour au Pays, adopter le projet de Dieu. Les amis d’Aurignac m’ont beaucoup soutenu ; les nombreux messages venant de partout, m’ont apporté beaucoup de courage et dissipé mes inquiétudes.
Votre ordination a vu la présence impressionnante de prêtres, de religieux et de religieuses, on dirait que vous passez bien dans le milieu sacerdotal et religieux.
Je ne sais pas si je passe bien, c’est aux autres de le dire. J’ai eu beaucoup de bonheur en voyant les prêtres, les religieux et les religieuses si nombreux à mon ordination épiscopale le 12 mai et à la messe d’action de grâce le dimanche 13 mai. Leur présence à été un grand soutien pour moi et un grand encouragement ; c’était pour moi un message fort. J’ai passé 15 ans dans les grands séminaires ; beaucoup de jeunes prêtres ont été mes anciens séminaristes de Koumi ou de Wayalgê. Mon frère cadet Athanase est religieux ; il est l’actuel provincial des Frères de la Sainte Famille. Par ailleurs, je crois beaucoup à la fraternité. La fraternité entre les prêtres, les religieux et les religieuses est la meilleure annonce de la Bonne Nouvelle en acte et en vérité ; tous nous reconnaîtront comme disciples du Christ si nous nous aimons les uns les autres. Merci aux uns et aux autres pour la présence et l’amitié.
Une fois nommé évêque vous avez choisi une devise et des armoiries
Une devise, comme vous le savez, est un programme qui est censé orienter la vie et le ministère du Pasteur et de l’Eglise diocésaine au quotidien. Comme la veilleuse du Tabernacle, elle interpelle et garde l’esprit et le cœur de tous en éveil sur quelque chose d’important en l’occurrence nos objectifs pastoraux. Ainsi ma devise sacerdotale s’énonce : « LE ROYAUME DE DIEU EST PARMI VOUS » (Mc 1, 15).
Expliquez nous cette devise
A la suite du Christ, Parole Eternelle, je dis à cette Eglise Famille de Dieu au Gulmu : « Le Royaume de Dieu est parmi vous ». Après 75 ans d’Evangélisation, cette Eglise a déjà une histoire. A travers les ouvriers de la première heure dont Mgr . Alphonse Chantoux est la figure emblématique et des pasteurs extraordinaires comme Mgr Marcel Chauvin, Mgr Jean Marie Untaani Compaoré et Mgr Paul Yembuado Ouedraogo, mes vénérables prédécesseurs, la Parole Eternelle du Père semée au Gulmu a germé, pousse et s’élève inexorablement comme un jeune et robuste baobab au feuillage verdoyant. Le nombre de baptisés, de catéchumènes et des agents pastoraux autochtones (prêtres, religieux, religieuses et catéchistes) sont les signes visibles de ce Royaume de Dieu parmi nous en pleine croissance.
Et vos armoiries ?
La Bible ouverte avec l’inscription ? et ? et la Croix représentent le Christ, Parole Eternelle, Messie Crucifié. C’est donc dire que je ne viens pas annoncer un autre Evangile. Mon Evangile c’est l’Unique Christ, hier et aujourd’hui, Alpha et Omega, Commencement et Fin de tout.
Le Baobab, arbre symbolique du terroir représente la jeune Eglise Famille en croissance au Gulmu. Le chapeau traditionnel symbolise la mission du Pasteur, gardien du troupeau de Dieu. En résumé, les armoiries explicitent la devise : « Le Royaume de Dieu est parmi vous ».
Vous êtes originaire du même village que Mgr Dieudonné Yougbaré (évêque émérite de Koupéla décédé le 4 novembre 2011). Y voyez-vous une main de la providence divine ?
Les Yougbaré de Koupéla sont originaires de Goodê un village de Dimistenga. Indépendant de cela, tout mon cheminement vocationnel s’est passé sous le regard et la conduite de Mgr Dieudonné YOUGBARE ; c’est lui qui m’a ordonné prêtre le 7 juillet 1984 à Gounghin ma paroisse d’origine. Petit, jeune et adulte, j’ai toujours voulu ressembler à Mgr Dieudonné dans la pratique des vertus, dans sa manière de concevoir la pastorale et à la conduire pour le bien de son diocèse. Il était exigeant pour lui-même et les autres pour le bien de tous ; Il était bon et généreux, homme d’écoute et de prière, très humble. Monseigneur Séraphin François ROUAMBA, archevêque de Koupéla me disait que Mgr Dieudonné Yougbaré allait être heureux de mon élection comme évêque. Je le pense aussi. Je pense que là haut il se réjouit. A Fada, le jour de mon sacre, on m’a donné le nom de Yen paabu c’est-à-dire « don de Dieu », Dieu a donné, Dieudonné ; le clin d’œil de notre Dieu qui est plein d’humour ; j’en étais ému.
A vous entendre, vous placez votre épiscopat sous sa bienveillance ?
Quand je suis revenu de la France, à Koupéla, je suis allé directement au sanctuaire de Binatenga où Mgr Dieudonné Yougbaré repose ; je me suis recueilli ; je lui ai dit que j’étais revenu sans avoir achevé mon année sabbatique et qu’il savait pourquoi. Je lui ai présenté ma mission à Fada, et je lui ai demandé de m’obtenir une double part de la grâce qu’il a reçu lui-même pour conduire le diocèse de Koupéla. Je le sais présent à mes côtés et intercédant pour moi.
Vous êtes en train de boucler une tournée pastorale dans toutes les paroisses de votre nouveau diocèse, qu’est-ce qui vous a particulièrement frappé ?
Le diocèse de Fada N’Gourma reste très grand malgré la création des diocèses de Dori et de Tenkodogo qui ont pris une partie du territoire. On pourrait encore créer deux autres diocèses en plus de celui de Fada même ; le diocèse reste très vaste et les distances sont grandes ; c’est vous dire que je ne suis qu’au début de ma visite dans les paroisses. Dès le mercredi 16 mai, je suis parti. Je veux me donner la chance de faire le tour des paroisses et des institutions avant l’ouverture de l’année pastorale 2012-2013 en septembre prochain. Là où j’ai été ce qui m’a frappé c’est l’enracinement des traditions, une mentalité très forte qui n’engage pas forcément dans la marche du temps, le développement ; il faut beaucoup lutter pour conserver sa foi et la vivre. L’effort pour le désenclavement des différentes localités doit se poursuivre. J’ai été frappé aussi par les potentialités de la zone ; richesse du sous sol, de la flore et la faune, de l’élevage et de l’agriculture. La famine se fait sentir ici ou là.
Quelles sont les aspirations et attentes profondes de votre peuple ? De votre clergé ?
C’est pour découvrir les aspirations et les attentes des fidèles et du clergé que je vais à leur rencontre et pour toucher du doigt ce qu’ils vivent. Pour les paroisses visitées, les fidèles attendent de moi que je sois un père qui leur soit proche, un père qui sait les écouter et les comprendre ; les laïcs veulent êtres informés et formés pour mieux jouer leurs rôles. Mes prêtres me veulent proche de tous et de chacun pour partager leur quotidien. Que je travaille avec eux pour un presbyterium uni, fraternel fort pour un témoignage crédible et authentique de la Bonne Nouvelle.
Que souhaitez-vous donc être pour vos prêtres et tous les agents pastoraux de votre diocèse ?
Je veux être pour chacun d’eux un frère, un ami, un père ; je veux être un homme d’écoute pour tous. Je voudrais qu’ensemble nous puissions cultiver la confiance mutuelle et expérimenter le partage entre nous. Nous pourrons annoncer à tous la réalité du Royaume de Dieu parmi nous si nous sommes unis, si nous vivons une réelle fraternité.
Nouveau venu au sein de la Conférence épiscopale Burkina/Niger quel sera votre apport personnel à la collégialité épiscopale ?
J’intègre la Conférence Episcopale Burkina-Niger avec toute ma bonne volonté. Je veux comme les autres, investir tout l’amour de mon cœur et la force de mon esprit ; je m’investirai dans les commissions qui me seront confiées. Comme tous les autres, j’apporterai ma différence ; le long séjour que j’ai passé dans les grands séminaires sera un apport personnel.
La responsabilité épiscopale est avant tout une fonction de service, n’avez-vous pas l’impression que l’exercice de cette fonction subit l’influence de la conception traditionnelle du chef de nos milieux culturels ?
Un mois c’est un peu court pour tirer de grandes conclusions… Que les fidèles nous considèrent comme des chefs je dirai que c’est moins grave ; ce qui est vraiment grave à mon avis c’est que nous-mêmes nous nous prenions comme des chefs et que nous nous conduisions de la sorte, oubliant ce que nous devons réellement incarner à la suite du Maître, être des serviteurs de nos frères et sœurs ; telle est faite notre mission. C’est un vrai défi à relever non seulement pour les évêques mais aussi les prêtres et tous les agents pastoraux ; il nous faut garder notre place, ne pas usurper celle de Dieu, ne pas copier non plus la manière de faire du monde. C’est notre comportement qui changera petit à petit la mentalité du milieu.
Les nouvelles générations de prêtres présentent une forte tendance à la liberté de pensée, de parole et à la discussion, est-ce une nouvelle donne à laquelle les évêques doivent s’habituer ?
C’est aujourd’hui que la bonne nouvelle doit être annoncée au monde qui est le nôtre pour le salut de tous. La liberté de pensée, de parole n’est pas une mauvaise chose, loin de là, pourvu que tous visent le bien et le vrai ; pourvu que tous visent le bien de toute la famille. Pour que tous se sentent à l’aise dans la maison, il faut que tous contribuent à la bâtir. Il faut éviter d’écarter l’un ou l’autre tout simplement parce qu’il pense différemment. C’est un évangile de liberté que nous annonçons, l’unique contrainte pour tous c’est le devoir de la charité. Ce qui est vrai pour les évêques à l’égard de leurs prêtres l’est aussi des prêtres à l’égard des fidèles qui leurs sont confiés. Les nouvelles générations de prêtres sont de leur temps, la Bonne Nouvelle à annoncer est de tous les temps ; seuls ceux qui l’accueillent dans un esprit d’humilité et d’obéissance seront sauvés.
Votre dernier mot…
Merci à tous les agents du journal L’Evènement et à tous les agents des médias en général qui offrent au public l’information. L’information est une nourriture indispensable aux hommes et aux femmes de notre temps. Le souhait est que cette nourriture apporte tout ce dont les uns et les autres ont besoin pour construire ensemble un monde où il fait bon vivre, un monde de justice et de paix. Merci !
Interview réalisé par Pascal Karlygash PAAMBÔSGO ( pakolpaam@yahoo.fr)
L’evénement