Le Père Isidore OUEDRAOGO, secrétaire exécutif de Caritas Burkina Faso, propose au Sahel une révolution des méthodes et des pratiques agricoles pour aider les populations à mieux résister aux crises alimentaires.
Depuis cinq ans, le Burkina Faso souffre de crises alimentaires liées à de fortes périodes de sécheresse. Comment se manifeste le déficit pluviométrique en cours ?
Il est très visible ! Des zones à l’origine très boisées, comme le nord du pays, deviennent désertiques car elles sont de moins en moins arrosées. La répartition des pluies a changé, à l’image de la saison des pluies qui commence maintenant en juillet alors qu’elle débutait auparavant en mai-juin. Sur les lèvres des paysans la question reste toujours : « Va-t-il pleuvoir en septembre et octobre ? » Si ce n’est pas le cas, on peut craindre de très mauvaises récoltes durant la campagne 2014-2015 et des conséquences difficiles à gérer pour les ménages.
S’il y a un déficit agricole cette année, nous pouvons craindre une hausse du taux de malnutrition infantile et de sous-alimentation, voire d’insécurité alimentaire pour les populations les plus vulnérables du pays. Or, plus de 8 habitants sur 10 tirent leurs revenus de l’agriculture.
Les dirigeants africains ont réaffirmé en juillet, dans le cadre de l’Union africaine, leur intention de consacrer 10 % de leurs budgets nationaux au développement agricole. Ils veulent par exemple, disent-ils, multiplier par deux la productivité agricole. Qu’en pensez-vous ?
Cette déclaration représente une avancée significative car les dirigeants affichent officiellement une volonté politique claire qui fait de l’agriculture un secteur de production prioritaire et non plus un secteur longtemps considéré comme social. Les dirigeants africains décident d’appuyer les petits producteurs. C’est un pas en avant pour faire du monde agricole un secteur de production à part entière pouvant produire des richesses. C’est important de cesser de considérer l’agriculture familiale uniquement comme un “secteur social”.
Cela signifie qu’il faut résolument investir dans l’agriculture. Si le Burkina Faso se félicite officiellement d’avoir atteint ces 10 %, la question se pose de savoir où vont ces fonds, c’est-à-dire pour l’essentiel à la production du coton (une culture de rente, c’est-à-dire surtout tournée vers l’exportation) ou, d’abord, à la production céréalière ?
Quelles initiatives prendre sur ce point ?
Il faut faire un choix politique au Sahel qui vise, avant tout, à soutenir la production céréalière et non plus à appuyer en priorité les cultures de rente. L’objectif de cette réorientation sera de faire face aux changements climatiques, aux pluies fluctuantes et d’oser révolutionner les méthodes mêmes des semis (par exemple, quand et comment mettre en terre). Il faut rien de moins qu’une révolution agricole qui touche aux méthodes et aux pratiques agricoles elles-mêmes ! Cette révolution permettra d’accroître la productivité, d’améliorer la conservation et la commercialisation des produits et de rendre ainsi les populations du Sahel moins vulnérables aux chocs et aux crises.
Caritas Internationalis prône le “droit à l’alimentation” et veut “démocratiser” la sécurité alimentaire.
L’enjeu est clair : chacun s’engage à lutter pour que ce droit soit appliqué pour soi-même et pour les autres. Aborder le “droit à l’alimentation”, c’est prendre en compte en même temps la commercialisation, l’acquisition de terres, l’accès des consommateurs aux marchés locaux, la lutte contre la spéculation grâce à une bonne régulation des prix, des politiques agricoles volontaristes… C’est privilégier une approche plus responsable des populations (les habitants sont des producteurs, des consommateurs mais aussi des citoyens) en insistant sur la maîtrise de la chaine production-conservation-consommation-commercialisation. C’est le sens du travail que nous faisons à Caritas.
Les experts admettent à présent que la sécurité alimentaire est tributaire de la qualité de la gouvernance. Cette chaîne aux quatre maillons devrait aussi être traitée sous cet angle. Le droit à une alimentation saine et équilibrée oblige Caritas à renforcer le pouvoir des populations pour assumer une responsabilité citoyenne autour de ces “valeurs” liées à l’alimentation. La sécurité alimentaire devient donc surtout un enjeu d’accès à la citoyenneté.
Propos recueillis par Yves Casalis